Retour aux articles

Introduction au design systémique

18 juillet 2023

Petite note de la conférence de Sabrina Tarquini à propos du design systémique. On définit ce qu'est un système et on décrit la genèse de cette pratique.

Mon obsession du moment concerne le design systémique. C'est une pratique que j'explore et dont je ne maitrise pas encore tous les aspects. Et récemment, je suis retombé sur l'intervention de Sabrina Tarquini lors d'Ethics by design 2020 qui me semble efficace. Je vous propose donc une retranscription partielle de sa présentation.

Quelques exemples de systèmes

Avant de comprendre ce qu'est le design systémique, nous allons commencer par comprendre la notion de système.

Définition avec un exemple très simple

Un vélo avec des légendes sur toutes les parties : frein avant, frein arrière, guidon, le cadre, la selle, pédales, les roues, la chaine, le pignon
Composition d'un vélo

Le vélo est un système, composé de différentes parties qui, lorsqu'on actionne les pédales, créer des interactions entre les éléments, ce qui provoque un changement de comportement de ce système, le vélo avance.

Si les roues sont crevées alors les pédales seront plus difficiles à actionner et demanderons plus de force. Cet exemple mets en évidence qu'un système est plus que la somme de ses éléments.

Russel Ackoff, théoricien des organisations, défini ce qu'est un système de la façon suivante :

Un système est un tout, composé d'éléments, où chacun d'entre eux peut impacter le comportement ou les propriétés de ce système.
Russel Ackoff - théoricien des organisations

Au passage, je vous recommande cette vidéo (en anglais) où Russel détaille plus : https://www.youtube.com/watch?v=FhcfjE7tJDY

Comprendre le réchauffement climatique

Prenons le réchauffement climatique pour aller plus loin dans la démonstration.

Si l'on regarde les évènements catastrophiques comme les ouragans, les feux de forêts, les inondations, les canicules… comme des phénomènes individuels, alors on ne fait pas le lien avec le réchauffement climatique. Avec le point de vue systémique, on peut mettre en lien tous ces évènements et l'on peut comprendre leurs interactions.

Voici un exemple de schéma typique de la pensée systémique où l'on cartographie les boucles de rétroaction liées au réchauffement climatique.

Ce schéma est décris par exemple que :

  • Le réchauffement climatique augmente la fonte des glaces, ce qui augmente à son tour le relâchement de méthane dans l'atmosphère. Enfin, ce dernier réchauffe l'atmosphère et, à son tour, il augmente le réchauffement climatique.

  • La fonte des glaces fait monter le niveau des océans, ce qui va augmenter la puissance des tempêtes.

On peut également observer comment un seul facteur peut impacter tout un système (cf. les pneus crevés du vélo). Ici, c'est la combustion de pétrole qui vient augmenter les émissions de gaz à effet de serre, ce qui a pour effet d'augmenter le réchauffement climatique.

Modélisation du système monde par le Club de Rome

On termine cette série de démonstrations de système par la modélisation du système monde par un collectif de chercheurs et chercheuse.

En 1968, le club de Rome à sortie le rapport "les limites à la croissance". Dans ce rapport, ils ont utilisé la pensée systémique pour cartographier les dynamiques entre le système terre et l'augmentation de la population.

Voici un exemple de cartographie :

Cartographie chargée avec des éléments liés entre eux avec des flêches

Sur la base de cette modélisation, le club de Rome a réalisé des projections pour analyser l'évolution du climat. Un des scénarios les plus pertinents projette un effondrement de la population d'ici à 2100.

schéma avec un ensemble de courbes : en abcisse le temps de 1900 à 2100. On vois la courbes des ressources chuter autour des années 2000, la courbe de la population fait un pic haut vers 2050, la pollution fait un pic vers 2030.

Dans ce scenario, la population suite à une grosse augmentation arrivera à un point de bascule, car les ressources ne seront plus suffisantes pour soutenir cette augmentation de population.

Cet exemple nous montre tout le potentiel de la pensée systémique, c'est-à-dire de mettre des phénomènes dans un contexte d'interaction qui constitue un tout, un système.

Bien que les scientifiques aient modélisé notre système et en tirer des projections, que pouvons-nous faire avec tout cela ?

Le design systémique, la convergence de deux pensées

L'idée a émergé d'associer la pensée systémique avec la nature très pratique du design. Cette rencontre prend alors le nom de design systémique.

Les principes de la pensée systémique

Quatre figure représentant les clés du system thinking. La première

L'approche systémique permet d'avoir une vision globale (Fig. "whole") tout en comprenant les interactions et relations (fig. "Connectedness") entre les éléments d'un système.

Il ne s'agit plus d'analyse les phénomène par le prisme : causes => conséquence, mais d'en rechercher les boucles de rétroaction (Fig. "circular causality"). Ce modèle permet de comprendre les situations d'aggravation ou de stagnation.

Le concept d'émergence (fig. "Emergence") permet de comprendre les dynamiques d'un groupe. Ainsi, dans une classe d'élèves fraichement constituée, chaque individu agit indépendamment, cependant au bout de quelques semaines, nous pourrons probablement voir émerger des groupes selon les affinités.

Les principes de ma pensée design

5 figures représentant le design thinking. La première

Le design thinking est une approche centrée usager/humain qui repose sur un processus visant la compréhension et la résolution de problème. Ce processus est très créatif et amène l'idée de rassembler les individus afin co-créer.

Enfin, la dernière caractéristique de la pensée design est qu'elle est itérative. L'idée est de tester puis d'améliorer votre solution jusqu'à obtenir un résultat satisfaisant.

À quoi le design systémique peut ressembler ?

Dans sa conférence, Sabrina évoque la création d'une boite à outils (Systemic design Toolkit) à laquelle elle a participé. Ces outils ont été créés pour que l'ensemble des parties prenantes d'un système puisse collaborer.

Cette boite à outils décris 7 étapes (16:26 de la vidéo) :

  1. Cadrer le système

  2. Écouter le système

  3. Comprendre le système

  4. Définir le futur désiré

  5. Explorer les possibles

  6. Concevoir un plan d'intervention

  7. Favoriser la transition

Je vous laisse aller voir la vidéo pour découvrir les exemples de mise en pratique 🙂

Pourquoi cette approche me semble pertinente

Cette conférence est venue confirmer une intuition et un travail personnel. Après mettre pris de passion par les design systèmes, des applications et interfaces numérique, je me suis aperçu que cette pratique du design pouvait se transférer une grande diversité de sujets (la psychologie, l'entreprise, l'agriculture, la famille, la cuisine ...).

J'ai alors concrétisé mon approche à travers un canva pour créer des systèmes de design en commençant par la création de repas (voir l'article), puis sur la création de cours (voir l'article). Mon objectif est de pousser les individue à s'approprier les systèmes.

J'ai donc immédiatement acheté le livre qui documente cette boite à outils pour continuer mon exploration.

EDIT du 29/09/2023

Voici le commentaire de Kevin Richard (Senior Designer & Strategist) que j'ai reçu sur le slack des designers éthiques.

Le commentaire

Merci pour le partage Je me permets de faire quelques remarques sur des imprécisions et/ou points de désaccord :

Même si le design systémique est nouveau d’un point de vue académique, la discipline existe au moins depuis le début des années 2010 (donc ~10 ans): "Systems and complexity theories and design thinking redesign a pretty new discipline: the Systemic Design, which is located as a human-centred systems-oriented design practice (Bistagnino, 2011; Sevaldson, 2011; Nelson and Stolterman, 2012; Jones, 2014; Toso at al., 2012 )." – Wikipedia

Le design systémique n’est pas un outil de “résolution de problème”: une “résolution” implique qu’un problème soit clairement définit, et implique donc un contexte dans lequel un problème peut être clairement identifié et isolé. Or si c’était le cas, on aurait pas besoin de design systémique.

  • Dans un système complexe, on parle souvent de “problème épineux” (voir wicked problem), càd un problème de nature polymorphique, donc par définition impossible à définir clairement et à isoler. Ici le design systémique permet une compréhension du contexte donnant lieu au “problème épineux” et de travailler autour de ce dernier (au lieu “d’agir directement dessus”) pour le faire éventuellement “disparaitre” (on parle alors de “dissoudre  le problème”).

  • A noté que je n’aime pas le terme de “problème épineux” puisqu’il donne la fausse impression qu’il s’agit effectivement toujours de résoudre un problème, simplement plus compliqué et qui nécessite juste plus d’analyse. Ici j’utilise souvent l’analogie du puzzle: les notions de “problème” et “problème épineux” laisse croire que l’on a connaissance et/ou que l’on peut avoir cette connaissance de toutes les pièces et qu’il s’agit juste de trouver le bon ordre pour le résoudre (et donc qu’il y a une bonne réponse au problème) – alors qu’en réalité, dans un système complexe, tu n’as jamais que la moitié des pièces et les motifs sur ces dernières changes régulièrement de manière aléatoire (il n’y a pas de bonne réponse).

L’exemple présenté du vélo comme système simple est top, mais c’est problématique de sauter ensuite au “changement climatique” sans plus de distinction, comme si le fait qu’ils soient tous deux des “systèmes” les rendaient équivalents. Tout système n’est pas égal, et on peut d’ailleurs différentier 4 typologies de systèmes: clair, compliqué, complexe, et chaotique (voir Cynefin framework, Wikipedia) – le vélo est un système clair, car les relations entre ses parties sont explicites et linéaires. Un système climatique n’est pas clair car il est régi par des interactions non-linéaires et non explicites.

L’illustration de boucles de rétroaction n’est pas un “schéma typique de la pensée systémique” mais plutôt typique d’une discipline en particulier, souvent associé à la pensée systémique : les Systems Dynamics.

  • Attention : la pensée systémique et les sciences de la complexité n’est pas un tout cohérent mais un assemblage de nombreuses disciplines et philosophies connexes mais différentes, et parfois en désaccord. D. Meadows est extrêmement populaire lorsqu’il s’agit d’introduire et vulgariser le sujet, mais est aussi sur-représentée dans les milieux francophone (voir ma critique des “points de leviers” de Meadows ici: https://lelaptop.slack.com/archives/C01AA5VQ1QU/p1682783575832309)

  • Pour référence, ci-joint une carte des différents mouvements des sciences de la complexité, avec en rouge les travaux de Donella Meadows (ref. Complexity map).

En espérant que cela aide. Au plaisir de te lire 👍